PORTRAIT – De l’Irak à la Syrie, Lise : l’humanitaire chevillé au corps

Inédits
Lise Faski Goin. Photo DR

J’ai rencontré Lise Faski Goin au printemps 2011 par le biais d’un ami, une période où les rencontres et les fêtes étaient quasi quotidiennes. Pourtant, si nombre de ces rencontres se sont avérées éphémères, j’ai toujours gardé le contact avec Lise. De par son parcours et sa personnalité, la jeune femme de 35 ans est difficile à oublier. Depuis trois ans, elle a fait le choix de l’engagement auprès des autres. Elle aurait pu s’engager en France ou au Canada, pays dans lequel elle s’est installé en 2012, mais non, aventureuse et volontaire, c’est en Irak et au Kurdistan que la jeune femme originaire du Cher a posé ses bagages. « En 2012, je travaillais dans la haute finance à Montréal, mais je ne me voyais pas passer ma vie là-bas, en raison notamment du manque d’éthique, raconte la jeune femme. J’avais un ami à Sulaymānīyah, au Kurdistan irakien. Ils cherchaient un chef de projet dans son ONG. J’ai postulé et ai été acceptée », explique-t-elle.

Des missions sensibles

Changement de vie : Lise devient responsable d’une équipe de cinq humanitaires. L’ONG pour laquelle elle travaille assure un approvisionnement alimentaire, matériel et parfois financier aux réfugiés, qu’ils soient Iraniens, Kurdes ou Syriens. Elle travaille aussi auprès des Yézédis. « Je devais faire des rapports de tension dans un camp sur les conflits entre les Yézédis et les Arabes. Mon rôle était d’écouter et de proposer des solutions. » Un travail qui lui permet de remettre les choses en perspective et d’avoir un point de vue parfois un peu éloigné de celui qui prédomine en Occident. Dans le cadre de ses missions, la jeune Française sait qu’elle a croisé des membres de Daesh, mais son statut d’humanitaire lui confère une certaine distance. « Je suis allée dans des camps où de nombreuses familles étaient affiliées à Daesh, on aide les gens mais on ne leur demande pas s’ils soutiennent l’organisation. Nous nous basons sur leurs besoins. » Sa vision sur l’évolution de la situation n’est guère optimiste. « Je parie qu’un autre mouvement comme Daesh va arriver dans un ou deux ans. Tant qu’on dénigrera les droits des Sunnites, ils ne pourront pas rester silencieux. En ce moment par exemple, on prend leurs maisons sous prétexte de liens avec Daesh. Si j’étais Sunnite, je serais très en colère. »

Camp pour personnes déplacées a Kirkuk. Photo DR

« Dans certaines ONG, les managers ne voient pas ce qui se passe »

Lise s’est rapidement intégrée à la vie locale. Une vie qu’elle apprécie malgré les difficultés du quotidien et les barrières culturelles. « Ici, les femmes n’ont pas la même liberté de mouvement. Si j’étais locale ce serait compliqué. J’adapte mes tenues, j’essaye de faire le caméléon. Cela n’empêche pas les hommes de me fixer, mais en France c’est pire : on se fait facilement harceler et insulter. Ici, la honte est sur les hommes dans ces cas-là. »
La peur, la vraie, Lise l’a aussi expérimentée ces dernières années. Le dernier grand épisode de frayeur date d’octobre 2017. Lise travaille depuis quelques semaines pour une grande ONG danoise à Kirkuk, en Irak. Le 16 octobre, la ville est envahie par les forces irakiennes poussant des milliers d’habitants à fuir. « J’ai été évacuée en pleine nuit mais si j’avais suivi les ordres de mon chef, je serais morte. Il voulait que je parte seule, de nuit, en faisant du stop ». Finalement, la jeune humanitaire trouve refuge auprès d’une organisation française. « Nous avons foncé sur la route à 180 km/h jusqu’au premier check point. » Lise s’en sort, mais fustige le manque de clairvoyance et la bêtise de certains humanitaires haut placés.  « Dans certaines ONG, les managers ne sont pas sur le terrain, ils ne voient pas ce qui se passe. Quand c’est trop dangereux, il ne faut envoyer personne. Mais eux s’en fichent. C’est vraiment stressant de travailler dans ces conditions. Nous avions par exemple des missions près de la ligne de front, mais ils refusaient de nous payer du matériel sécurisé. »

Une maison détruite par Daesh dans le village de Basheer (alors à 2-3 km du front). Photo DR

« Avoir de l’électricité six heures par jour et de l’eau chaude, ce serait merveilleux ! »

Après cet épisode, l’humanitaire décide de lever le pied et s’engage comme professeur d’anglais dans une école à Sulaymānīyah. Une accalmie temporaire. D’ici quelques jours, elle partira à Istanbul, puis retournera en Irak pour travailler sur des dossiers syriens pour le compte d’une ONG américaine. « Ma mission sera de vérifier que l’argent a bien été dépensé dans ce qui avait été prévu. » Au printemps, elle sera ensuite renvoyée à Istanbul pour une longue période. Un départ qu’elle attend avec impatience pour retrouver notamment un minimum de confort. Les petites choses du quotidien comme sortir boire un verre avec des amis ou aller au cinéma lui semblent parfois extraordinaires. « Je rêve souvent d’avoir une vie sans me poser la question d’un tremblement de terre ou d’une invasion. Avoir de l’électricité six heures par jour et de l’eau chaude, ce serait merveilleux ! », sourit-elle. Avec son installation en Turquie, les souhaits de Lise devraient se réaliser. Des souhaits embellis d’une heureuse nouvelle : en décembre dernier, Lise s’est mariée avec un jeune Kurde.

 

Lise signe avec le directeur d’une école primaire a Kirkuk un contrat pour la réhabilitation des locaux. Photo DR
Activité agricole a Halabja (programme Cash for Work ou travail contre cash). Photo DR

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