PORTRAIT – Angelica, la passion de l’Inde et des autres

Inédits
Angelica a tout quitté pour vivre en Inde en décembre 2016. Photo Julia Kretsch

Chaque être humain a potentiellement une histoire intéressante à raconter. Parfois deux, parfois plus. Parfois, la destinée entière mérite qu’on s’y arrête. Il suffit d’être attentif, de poser les bonnes questions pour déceler un sujet digne d’intérêt.
Au cours de ma jeunesse, j’ai rencontré quantité d’individus, dans le cadre de mes études, de mon travail, de mes voyages. Certains bien sûr, plus marquants que d’autres. C’est le cas d’Angelica Marinescu, devenue mon amie. Lorsque je la rencontre en 2008, Angelica, originaire de Roumanie a déjà un parcours professionnel important. Plus âgée que nous autres, étudiants français, elle me raconte son pays et les années de terreur lors du règne despotique de Ceausescu.

« Une génération entière est tombée amoureuse de l’Inde »

Littérature étrangère, langues française, serbe et italienne ; la jeune femme s’intéresse à de multiples sujets, et rêve de voyages et de nouveaux horizons. La chute du communisme lui donnera l’occasion de partir. Après avoir posé ses bagages pendant trois ans en Italie au début des années 2000, elle retourne en Roumanie, son pays natal. « J’ai repris des études et ai commencé deux masters ; l’un en sociologie des médias et l’autre en journalisme en ligne, ça me semblait la seule solution pour me réintégrer », explique la jeune femme. Elle sympathise avec des Indiens, et se passionne pour cette culture. Une passion qui prend sa source dans un passé lointain. « Juste après la révolution roumaine de 1989, le livre de Mircea Eliade, un philosophe roumain contant son histoire d’amour avec une jeune poétesse indienne a été republié. Il s’agissait d’une lecture interdite jusqu’à la fin des années 1980. Vivre en Roumanie à cette époque-là était très difficile. Nous avions besoin de rêver, et une génération entière est tombée amoureuse de l’Inde et de son exotisme grâce à ce livre. Nous avions un besoin de liberté symbolisé par l’occident et un besoin de spiritualité symbolisé par l’Orient. »
Toutefois, c’est vers la France qu’elle se tourne en 2008. « J’ai obtenu une bourse Erasmus et ai pu mettre la main sur un vieux rêve : celui de vivre en France. » Après son Master, un professeur universitaire l’encourage à se lancer dans la recherche. Pendant trois ans, Angelica va comparer les gastronomies française et roumaine à l’université de Bourgogne. « Ma thèse m’a passionné, elle m’a appris beaucoup de choses sur les cultures française et roumaine. Elle a permis de montrer que la culture française n’avait pas pu intégrer les couches paysannes de la Roumanie, qu’il y en avait quelques traces, mais pas autant que ce à quoi on s’attendait. » Cette étude permet ensuite à Angelica d’ouvrir un cours de sociologie de la gastronomie à l’université de Bucarest. « Ce sont des sujets d’études extrêmement rares en Roumanie, donc mes étudiants étaient très intéressants et intéressés. » Cette thèse a aussi donné lieu à plusieurs publications, sur la sociologie du goût, les thèmes de l’anthropologie et de la communication. L’Inde n’est par ailleurs jamais sortie de l’esprit d’Angelica. La chercheuse a écrit deux ouvrages sur le pays et sa gastronomie.

L’Inde et la danse

Angelica poursuit chaque jour son apprentissage de la danse. Photo Emilian Savescu

En 2010, elle débute des cours de danse indienne en guise de thérapie. « Ma grand-mère dont j’étais très proche est décédée. J’ai appris la danse contemporaine comme un pari plutôt que de prendre des médicaments », explique-t-elle. En parallèle, elle cherche à faire connaître la culture indienne et crée un festival de la culture indienne en 2010. Grâce à cet événement, Angelica fait la connaissance de nombreuses personnes originaires d’Inde. Deux rencontres vont changer le cours de sa vie. D’abord, Somen Debnath, un jeune homme qui a décidé de faire le tour du monde à vélo pour sensibiliser au Sida et à ses ravages. Un tour du monde commencé en 2004 et qui ne s’achèvera en 2020. La jeune Roumaine devient très vite proche de cet aventurier des temps modernes. Grâce à lui, elle en apprend beaucoup plus sur l’Inde. En 2013, elle se rend également dans sa famille et découvre fascinée un nouveau mode de vie. « Les Bengalais sont extrêmement accueillants. Ils m’ont donné envie de découvrir encore plus leur pays. » À son retour, elle écrira un ouvrage ethnographique sur le Bengale. La deuxième rencontre marquante de ces années 2010 prend le visage d’une danseuse qu’elle a invitée lors de son festival. Subjuguée par la beauté de cet art, Angelica décide de poursuivre son apprentissage des danses indiennes. Elle prend des cours de danse classique Odissi avec la danseuse Reela Hota.

Fin 2016, elle se sent affaiblie et fatiguée. « J’étais dans un milieu académique à la recherche de « points » pour avancer dans ma carrière. J’avais besoin de retrouver un lien avec mes réels besoins : le plus difficile était la danse, le plus passionnant était l’Inde. » Sa décision est prise : elle partira en Inde pour apprendre à danser. En décembre 2016, Angelica, 42 ans, change de vie. Elle part à Bhubaneswar, dans l’Etat d’Orissa, et commence des cours à l’école Srjan, la meilleure école du pays, avec pour tout bagage une bourse de trois ans et sa détermination. Depuis, Angelica s’entraîne à hauteur de quatre heures de danse par jour minimum. Bien sûr, les moments de découragement ne manquent pas, mais sa détermination reste sans faille. « Chaque matin, je me demande ce que je fais là, mais je continue. J’ai la chance d’avoir une professeure qui m’encourage et est confiante. »

Pendant trois ans, Angelica va apprendre la danse classique indienne dans la meilleur école du pays. Photo Emilian Savescu

Un mariage au grand retentissement

La cérémonie religieuse lors du mariage d’Angelica et de son mari en juillet 2017. Photo DR

 

Début 2017, Angelica, toujours très intéressée par la sociologie aimerait partir à la découverte de ce pays. Elle sait que dans ce pays conservateur et traditionaliste, voyager seule lorsqu’on est une femme peut s’avérer dangereux. Elle décide d’écrire au ministère du tourisme pour demander de l’aide. « Ils m’ont envoyé Vivek Panda, un homme très intéressant, très intéressé par l’anthropologie, diplômé d’un Master dans la préservation du patrimoine et adorant parler français. Nous avons visité beaucoup de choses à l’aide d’un scooter. » Angelica dont l’existence n’est décidément pas des plus communes se lie d’amitié avec ce sympathique indien de 46 ans. Commence alors une relation professionnelle très respectueuse entre les deux quadras. « Nous nous sommes rendu compte que nos univers intellectuels et de valeurs étaient très proches. L’amour est une construction culturelle européenne, considéré comme une anomalie en Inde. L’amour existe mais il faut connaître la culture indienne pour en comprendre le sens. C’est peut-être également cela qui m’a convaincu. » Angelica et son guide finissent en effet par se marier devant 700 invités en juillet dernier. Ce qu’ils souhaitaient garder secret devient un objet de curiosité. « Il y a eu des articles dans les trois journaux les plus importants d’Orissa. Après le mariage, les téléphones de ma belle-famille ont beaucoup sonné. » Du côté de la famille de la jeune femme, l’étonnement est au rendez-vous. « Ma mère était très choquée », raconte-t-elle. Passé ce temps de stupeur et d’agitation, la vie a repris son cours. Angelica danse toujours et vit désormais avec son mari. Elle a de nombreux projets d’études sociologiques sur la culture indienne. L’avenir pour le moment, elle n’en a cure, et préfère se consacrer au présent. Un présent qui se conjugue avec amour de la danse et de la vie, comme un pied de nez aux conventions et au temps qui passe.

Trois journaux de l’Etat d’Orissa ont publié des articles sur le mariage d’Angelica.

Laisser une réponse

XHTML: Tags utilisables: <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>