René : « J’ai pris une revanche sur Hitler »

Inédits
René tenant une photo de lui à l'âge de 2 ans; Photo Julie Philippe

Les souvenirs de guerre de René sont des plus succincts. Et pour cause, en 1940, celui-ci n’a que deux ans. Placé par l’Œuvre de Secours aux Enfants (OSE) dans une famille de paysans à Chabris, près de Châteauroux, il se souvient avec précision des bombardements alliés sur les troupes d’occupation à la fin de la guerre. « Il y avait des gros nuages noirs, ça me foutait la trouille. Je me cachais dans le clapier à lapin, en risquant un œil vers le ciel.»

La famille dans laquelle il est hébergé est bienveillante. On lui fabrique des jouets en bois. En revanche, René ne touchera pas à un seul livre ou à un crayon jusqu’à ses 6 ans.

La fin de la guerre marque les retrouvailles avec ses parents. Le père de René, un Juif natif de Turquie, a été déporté à Drancy, puis dans un camp de travail de la Nièvre. Là-bas, il travaillait dans une forêt et abattait des arbres. Il a survécu grâce à l’aide probable du sous-préfet de Château-Chinon. A la fin de la guerre, l’homme a rejoint un réseau de francs-tireurs dans le Var.

La mère de René, elle, est restée à Paris et a échappé à la déportation. Durant toute cette période, le couple est parvenu à se donner des nouvelles. « J’ai retrouvé des lettres tendres et émouvantes de mon père qui écrivait sur des bouts de cartons à ma mère de Drancy, en utilisant le moindre espace libre sur le papier. C’était des mots plein d’amour, où il parlait de moi. Il demandait aussi à ma mère de lui faire parvenir de pauvres denrées jusqu’à Drancy où le dénuement était total. C’était très émouvant », raconte René.

De nombreux membres de la famille Romano n’ont pas eu leur chance et ont disparu à Auschwitz, après un passage par le camp de Drancy.

Une rancune incomprise

Les parents de René viennent le chercher à Chabris. Le voyage en train est épique : les ponts ont été bombardés. Une partie du voyage se fait donc à pied lorsqu’il faut traverser les fleuves.

Lors du retour à Paris, l’atmosphère est joyeuse. « Il y avait des soldats américains, ils nous filaient du chewing-gum, des capotes anglaises qu’on s’amusait à gonfler pour les faire exploser, du fromage. Des camions convoyaient des prisonniers allemands sous les sifflets des Parisiens. La Libération était une explosion de joie, même pour le petit gamin que j’étais.»

Malgré ce sentiment d’euphorie qui envahit chaque survivant, dans l’immédiat après-guerre, le jeune René en veut à ses parents, et notamment à sa mère. Il a le sentiment d’avoir été abandonné. « Avec le recul, je me suis rendu compte que je lui en voulais car je ressentais ma séparation lors de la guerre comme un lâchage, ça pourrissait notre relation. Mon sentiment était injuste : comme ceci a été difficile pour mes parents, de se séparer de leur jeune enfant pour préserver sa vie sous la menace nazie!»

Plus de 70 ans après, il pense que le petit garçon qu’il était ne devait pas inspirer beaucoup de sympathie. « Entre l’âge de deux et six ans, je n’avais jamais ouvert un bouquin et j’avais manqué tout un tas de petites choses, que la maman apprend : faire sa toilette correctement, se brosser les dents etc. »

René rattrape son retard avec rapidité, aidé par deux instituteurs bienveillants. « Ces braves gens qui rencontraient un petit garçon totalement inculte m’envoyaient des devoirs de vacances. J’ai encore beaucoup de vénération pour ces deux instituteurs qui étaient vraiment des “hussards de la république” ».

Côté caractère, le jeune René est facilement agressif et en permanence sur la défensive. Des traits de personnalité qu’il met sur le compte de son enfance chaotique. « J’étais prêt à cogner mentalement ou physiquement. Tout ça notamment, parce que je n’avais pas reçu l’amour d’une mère dans la petite enfance. »

Une vie professionnelle et personnelle épanouie

La guerre et ses conséquences n’auront pas d’impact négatif sur l’ex-enfant caché. Plus tard, il entre au lycée Charlemagne, et poursuit de brillantes études. Il devient ingénieur, réalise des projets en bureau d’étude, et dirige une importante usine pendant quelques années. Il travaille également pendant 40 ans pour le secteur nucléaire, militaire et civil.

Après sa retraite, il sera nommé consul honoraire d’Ukraine par Jacques Chirac, et fait chevalier de la Légion d’honneur par le ministre de la Défense Hervé Morin.

Concernant sa vie personnelle, René a fondé une famille nombreuse. « Une revanche sur Hitler », sourit-il. Ses cinq enfants ont tous de bonnes situations. Ils sont avocat, chirurgien, entrepreneur, financier ou journaliste.

Désormais, René vit une paisible retraite auprès de son épouse. Il raconte parfois des anecdotes de son passé à ses 18 petits-enfants, tous très intéressés par l’histoire, parfois cruelle, de leur famille.

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